Kat (GSHP), Valérie P, David, Darioush
TPST : 9h30
Le sous-sol des Arbailles recèle bien des curiosités géologiques, devant lesquelles nous passons et repassons, parfois sans vraiment s’y arrêter. Qui nous laissent songeurs, rêveurs, perplexes mais pas indifférents. Tout du moins glissés dans la peau d’un spéléo. Le gouffre de l’Aphanicé fascine sans doute autant qu’il rebute ou effraie. Ne se laisse pas conquérir aussi facilement. Mais son pouvoir d’attraction est indéniable. Ça nous a bien trotté dans la tête depuis quelques mois ou années, nous devions nous libérer de cette obsession !
Le col éponyme nous attend sous le soleil de 10 heures, le short est un bon choix vestimentaire. Les filles sont en retard, sûrement pas tombées du lit. Bon, c’est vrai qu’elles ont un poil plus de route que nous. Au moins, la parité est respectée. L’herbe disparaît bientôt sous un impressionnant amas de matos, de vêtements, de bouffe, de bières…Nous préparons soigneusement le plan de vol, enfin plutôt de descente, la nouvelle fiche d’équipement est d’une aide précieuse. De la corde de 8 mm pour le premier puits, de la 10 mm flambant neuve (merci David) raboutée à de la 8,5 mm pour la dernière tirée de 240 m. Oui, on va le faire en mode hist’. Historique ou hystérique, selon le point de vue.
Le kit sherpa dans lequel nous bourrons ce plat de spaghettis gargantuesque à coups d’espadrille est plein à craquer. Nous ne croyons pas si bien dire. Kat l’infirmière vient à la rescousse pour saucissonner cet âne mort au duct tape.
À midi nous sommes tous les quatre engloutis dans l’entonnoir de la doline d’entrée. On se faufile entre les blocs, on roule les kits entre les bottes. Le plafond est bas et la terre est haute. Ça ressemble à un laminoir pentu dont le sol est jonché d’écailles et de blocs instables. Valérie nous devance et équipe la première verticale de 56 m. Le caillou est loin d’être de « qualité spit », nos lointains prédécesseurs ont dû en baver pour poser des ancrages satisfaisants. Ça se confirme en bas. Des broches grosses comme le poing en ferraille rouillée suggèrent la trajectoire de la main courante du P41. Je prends le relais de l’équipement. Deux fracs et nous y sommes. L’eau se fait maintenant plus présente, ça ruisselle en continu. Nous ne prendrons pas le chemin de l’actif mais obliquons dans une galerie fossile presque horizontale débouchant sur un P20. On le descend sur 5 mètres avant de penduler dans une nouvelle galerie sèche.
Val repasse en tête pour doubler une main courante antédiluvienne, tandis que je vais prêter mains (fortes ?) et épaules à Kat, David et leurs fardeaux boudinés. Un vrai chemin de croix !
S’en suit un P17 au départ étroit aboutissant dans le méandre terminal. Vasques peu profondes et parois patinées marquent le retour de l’eau, malgré un écoulement peu perceptible. Quelques pas incertains de plus en direction d’une margelle et l’on peut entrevoir l’objet de notre pèlerinage, le monstre, l’insondable. Une verticale absolue de 330 mètres où se perdent lumière, eau et écho de nos voix. Tout autant que nos regards. Mais si tu plonges longtemps ton regard dans l’abîme, l’abîme te regarde aussi…Alors, comment résister à la tentation ? Qui domine l’autre ?
Valérie la guerrière s’engage dans la béance, adieu Val. Kat n’avait pas prévu de descendre aux enfers, pas très en forme aujourd’hui. Avec la gorge et les poumons qui brûlent ce n’est pas recommandé. On l’imagine bien mieux nous attendre dans la voiture, une tisane au miel à la main, un bouquin dans l’autre et de grosses chaussettes aux pieds. Adieu Kat.
À mon tour. Je suis bien lesté avec le sherpa et ses 250 m de lacets. Le deuxième frac et la tirée qui suit sont sous la pluie, je n’avais pas anticipé le déploiement du K-Way mais c’est le bon moment. J’arrive à la fameuse niche, 90 mètres plus bas que l’orifice du méandre. Petit passage de nœud judicieusement placé 2 m au-dessus du frac, la 97 m était un tantinet juste, on s’en doutait. Me voilà sous les pieds de Val, au départ de la tirée de 240 m, plein gaz. David se rapproche tranquillement.
Je ne goûterai pas à l’immense joie de descendre sur une corde raide comme la justice, ou l’injustice pour les autres.
Le temps file autant que la corde, malgré le gros diamètre. Le watercooling fonctionne bien, ça dégouline sur les poulies. Je me sens vite très seul dans cet univers sans étoile. Le temps de songer que 330 mètres, ça représente exactement la hauteur de la tour Eiffel, ou encore 4,78 Notre-Dame de Paris, ou bien 1534,88 Pécheresses* habilement empilées les unes sur les autres. La quantité de bière que le spéléo moyen ingurgite en seulement 4 ans. Sur ces conclusions épatantes, le nœud de jonction perché à 40 m du fond passe crème, coup de sifflet final à 16h.
Je m’installe sur les blocs garnis d’une riche faune fossilisée. Le poncho et le casse-croûte sortent du sac. Une heure plus tard, mes compagnons mettent pied à terre. C’est qu’ils sont descendus à deux, les bougres, histoire de se rassurer en se racontant des histoires. Record battu de la plus grande verticale descendue en perroquet pour Val. Bon, d’accord, il faut amputer cet exploit de quelques dizaines de mètres. David a de nouveau fait surchauffer le biceps à coups de tractions sur sa poignée.
17h30, je décolle du sol. Contre toute attente l’élasticité est raisonnable et la remontée presque agréable, hormis les quelques nuages de vapeur qui ont l’air de me suivre à la trace. Le coulissement feutré des bloqueurs donne la cadence. Je retrouve la niche, loge spartiate aux parois déchiquetées, offrant la plus belle vue qui soit sur…deux minuscules lucioles. Deux étincelles dans l’éternité.
À 18h55 tout le monde se retrouve au balcon. Valérie et David sont remontés en duo. La merveilleuse idée émerge alors d’un conciliabule un peu hâtif : ravaler la corde depuis la tête de puits située 90 m plus haut. Nous on aime les défis et la voltige ! David et moi remontons, Val s’en sortira bien pour déséquiper. De toutes façons la corde est légère, et puis les nœuds seront défaits, et rien n’accrochera…couac.
Depuis le sommet de la verticale, on croirait bien entendre râler furieusement en contrebas. Aurions-nous réveillé le monstre ? Impossible que ce soit Val, ce n’est pas dans ses habitudes. Impossible mais vrai. Mais il y a de quoi…
Au dernier frac nous tentons de jouer de la poulie et du Pantin, mais ça coince…Ce serait plutôt nous les pantins. Nouvelle tentative vaine en tractant depuis le méandre après avoir démonté tant bien que mal le dernier frac et abandonné une poulie.
On ne va peut-être pas batailler toute la nuit. Impossible de redescendre sur ce câble. Nous sommes trempés jusqu’à la moelle et un brin refroidis par la situation, il sera plus sage d’y revenir, avec une autre corde et les idées plus claires. Allez, on sort de là, sans rien d’autre à porter que notre carcasse et nos fringues imbibées. Il faut voir le bon côté des choses.
Kat est au rendez-vous lorsque je pointe mon nez dehors, galvanisée de notre retour. Il est 21h45 et quelques gouttes ne tardent pas à tomber, ce n’est pas un cadeau du ciel. Ce qui l’est, ce sont les bières imbuvables, les tartines de camembert liquéfié par la chaleur, et la bonne humeur d’une bande de co-pains-pines heureuse d’avoir partagé la découverte de ce gouffre mystiquement mythique.
Darioush
*ma bière préférée, désolé pour les Basques !
Photos : Valérie P, Paul DE BIE
Minute philo : NIETZSCHE
Topo extraite de l’article « LE GOUFFRE D’APHANICE » par Paul COURBON, Jean-Pierre COMBREDET et Ruben GOMEZ.
Pour se donner une idée, d’autres photos de François Lallier : https://flallier.fr/photo/series/gouffre-aphanice