Washington, juin 2021.

"L'heure est grave, Monsieur le Président."

Abandonnant à regret la jeune journaliste stagiaire à qui il faisait déjà miroiter un poste de ministre des communications obtenu grâce à des compétences on ne peut mieux localisées, le haut fonctionnaire s'éloigna de la petite réception donnée à l'occasion d'un quelconque vernissage et suivit l'importun dans un bureau des plus austères.

"J'espère que c'est important, Berthier. Je tiens à garder les meilleures relations avec la presse.

- Ne vous fâchez pas, Monsieur le Président, se défendit timidement l'assistant. Je ne vous aurais pas dérangé si cela n'était pas de la plus haute importance. C'est à propos... des super-héros, des méta-humains. Ils... ils sont en grande souffrance psychologique."

Le Président leva un sourcil.

" Vous voulez dire qu'ils ont enfin compris à quel point leurs films étaient ridicules ?

• Non, si cela avait été à ce point, ils se seraient sûrement tous jetés de honte dans le premier trou noir venu. En réalité, voilà ce que leur chef, le colonel Furieux, nous explique – et il réclame votre aide. Vous conviendrez que toute personne vivante sur Terre poursuit une sorte d'idéal, un modèle indépassable. Par exemple, pour moi, c'est vous, Monsieur le Président.

• N'en faites pas trop, Berthier.

• Excusez-moi. Je veux dire que nous tous, nous avons en tête un exemple à suivre, une figure de perfection à laquelle nous aimerions ressembler – peut-être un substitut parental. Ce peut être une personne réelle, un personnage de fiction, un dieu, qui porte des valeurs dans lesquelles nous voulons nous reconnaître. Cela entretient chez nous l'envie de nous améliorer, l'espoir que nous serons meilleurs demain qu'aujourd'hui.

• Et quel rapport avec...

• J'y viens. Le problème de nos super-héros, c'est qu'ils sont complètement au-dessus du reste de l'humanité, ou se vivent comme tels. Ils sont beaux, puissants, héroïques enfin... Du coup, ils n'ont aucune entité supérieure à laquelle s'identifier. Depuis qu'ils ont pris conscience de cela, ils tombent peu à peu dans la dépression. Batman lave ses capes avec le gris, Tony Stark sombre dans l'alcoolisme, Peter Parker se shoote au Baygon, Black Widow se goinfre de Nutella devant Twilight... Cyrilhanouman en est à mettre des nouilles dans le slip de Superman pour essayer de faire rire les autres, mais sans succès.

• Incompréhensible, je l'avoue.

• Que pouvons-nous faire, Monsieur le Président ? Si nous perdons nos héros, toute l'humanité devient vulnérable ! Nous pourrions être soumis à n'importe quel envahisseur extra-terrestre, super-méchant ou divinité névropathe qui se présenterait !"

Un silence s'installa. Le Président regardait pensivement par la fenêtre, conscient du poids énorme de la responsabilité qu'il était sur le point de prendre.

Sans se retourner, il déclara avec gravité :

"Puisqu'il en est ainsi, nous devons employer les grands moyens."

L'assistant resta bouche bée.

"Vous... vous ne voulez tout de même pas...

- Vous l'avez dit, Berthier : l'heure est trop grave pour faire dans la demi-mesure. Vous allez de ma part leur remettre... CECI."

Il lui tendit une clé USB couverte d'argile séchée et poussiéreuse.

• L'humanité est en danger, déclara le Président tandis que l'autre recevait la clé entre ses mains tremblantes. Nos héros ont effectivement besoin eux-mêmes de héros à présent. De véritables modèles auxquels s'identifier et sur lesquels se calquer. Ils trouveront ici tout ce qu'il leur faut."

Il y avait une étiquette sur la clé. Et il y était écrit :

COMPTE RENDU DE SORTIE

ENTRAINEMENT SPELEO SECOURS 12-13/06/2021

Jour 1, celui qu'on retient (hop, vous l'avez dans la tête, de rien).

La joyeuse troupe se rassemble devant chez Aguer à Camou. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Leize Mendi est sorti en force ! Valérie (Vignes), Virginie, Jean-Louis, David (ah ah), Joël, Serge, et votre serviteur. Au total nous sommes 19 à avoir répondu à l'appel, et ça arrive de tout le sud-ouest ! Jérôme n'en revient pas.

L'atelier d'aujourd'hui consiste en une séance de révision et d'apprentissage des techniques à l'entrée du trou du Hibou. Ledit hibou se fait discret, puisque nous mettons un temps certain à errer dans les fougères façon Gorilles dans la brume, attendant qu'un "AAAAAAAAAAhh – boum – j'ai mal" nous informe que quelqu'un l'a enfin trouvé.

Ah ben voilà, c'était là.

Enfin à pied d'oeuvre, nous (la plèbe) nous répartissons entre les chefs (vénérés) afin de recevoir d'eux, en même temps que quelques (pédagogiques) coups de pied au cul, l'enseignement des techniques de base selon les Saintes Ecritures du SSF : point sur les conversions, répartiteur 3 points, installation de la poulie Rescue pour balancier et contrepoids, poulie-bloqueur, palan et poulie largable. Après collation sortie du sac, on passe à l'application dans le trou lui-même. Il était temps, il fait chaud. Et pas une rivière pour mettre les bières au frais ! Le Pays Basque n'est plus ce qu'il était.

Pour l'application, c'est Jérôme qui se colle dans la civière. C'est dingue ce qu'il a confiance en nous, cet homme-là. Personnellement, je demanderais au moins un slip de rechange. Dom de son côté, réalise l'inconvénient d'avoir les deux Valérie dans son équipe (Vignes et Boutolleau) : pour les ordres, ce n'est pas le plus pratique. Et encore, on n'attend Valérie Poitou que pour demain.

A chaque fois, on me demande faire le contrepoids. Je me demande s'il n'y aurait pas un message caché là-dessous.

Après moultes hésitations sur la méthode à employer pour ramener not'bon CT en pas trop mauvais état à la surface de notre belle planète, on se lance. Quelques jurons, quelques sueurs et une rotation complète de la civière plus tard (désolé pour ton nez Jérôme...), la mission est un succès.

Encore deux ou trois exercices comme celui-ci et Jérôme Labat aura le profil grec.

A Camou, le maire a eu la gentillesse de nous ouvrir l'ancienne école du village, placée pile entre Gamere et Cihigue, qui a fermé en 2009, et de nous rouvrir l'eau et l'électricité. Merci au passage à toutes celles et ceux qui se sont décarcassés pour ramener de la bonne cuisine, le buffet du soir était magnifique. Petite expédition à la tombée du soir pour montrer la source chaude de Maddalen à ceux qui ne connaissaient pas – endroit féérique s'il en est - et au dodo tout le monde ! La journée de demain sera sportive.

La fraîcheur du soir, une nuit étoilée, un paysage magnifique au réveil...

Que demander de plus...

Jour 2.

Il paraît que ceux qui dormaient dans l'école ont entendu la terre trembler cette nuit. Phénomène sismique, animaux sauvages rampants dans les murs, visite du Basajaun ? Le fait que PH dormait à l'étage constitue possiblement un indice.

Briefing du chef. On fait semblant d'être attentifs pour la photo.

Au programme aujourd'hui : on passe aux choses sérieuses. La civière est placée au niveau de la salle des pendeloques dans l'OX655 – en réalité, un peu au-dessus, vers -75m, sinon nous risquons d'être courts en cordes. Cette fois c'est Thomas qui se dévoue pour remettre sa vie entre nos mains pas tellement expertes.

Il faut savoir que la cavité présente quelques beaux puits, mais aussi pas mal de passages restreints et d'étroitures verticales qui, pour être didactiques, n'en sont pas moins inconfortables. Je salue d'ailleurs notre victime, qui à plusieurs reprises s'est retrouvé comprimé entre deux murs, aux deux tiers sur le ventre, les tibias écrasés, la visière tordue, et qui ne s'est pas plainte une seule fois.

En même temps, avec la visière écrasée sur la truffe, c'est difficile d'articuler une plainte.

- Ca va Thomas ? - Mbbblemeugneu. - Qu'est-ce qu'il dit ? - Il dit que ça va. - Ah bon.

A la sortie le soleil cogne, alors on fait une pause dans les fougères. L'affaire aura duré plus de six heures tout de même, mais cela valait le coup, rendez-vous compte : à peine déposé à la lumière du jour, le patient est sorti seul de sa civière, s'est levé gaillardement sur ses deux jambes, et il est parti en trottant à travers la montagne en direction des voitures, en emportant sa civière avec lui - rejouant ainsi la grande scène de Djizeuss et du paralytique.

Comme dit le proverbe : Valérie léthargique, appeau à tiques.

Il faut toujours avoir un PHHV (PH Haute Visibilité) pour baliser le parking.

Pour finir, la colonne se dirige vers la rivière à Alçay, pour y nettoyer le matos dans la fraîcheur bienfaisante de l'Aphura, et se désaltérer d'une dernière bière à la façon britannique – c'est-à-dire tiède. Le chef a l'air content de notre prestation, sans parler de la mobilisation : avec les renforts du jour, on a dû frôler la trentaine de participants, au fond et en surface.

A l'arrière-plan, Jérôme totalement désespéré à l'idée d'avoir perdu son téléphone dans les fougères. Ou alors, c'est la lecture de ce compte rendu affligeant.

Que dire de plus ? Désolé pour le pavé, mais il y a tellement à dire – et je n'en ai vu qu'une petite part ! Ce fut un weekend exceptionnel : vivement le prochain et merci à tous !

Stéphane

NB : les lecteurs de Julien Hervieux auront remarqué que j'ai odieusement pompé son style (bien qu'avec beaucoup moins de talent) pour l'introduction. La bise à son mobilier.